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CHAPITRE XVII.

Saint Philibert, né en Guienne, dans la ville d’Eauxe, passa sa première jeunesse à la cour de Dagobert. Son penchant pour la vie claustrale le détermina à se retirer dans le monastère de Rebais. Chassé de cette sainte demeure par une révolte des moines, le fervent abbé, car saint Philibert avait été élevé promptement à cette éminente dignité, parcourut plusieurs maisons religieuses de France et d’Italie. Il se dirigea ensuite vers la Neustrie, et chercha, dans notre province, un lieu de solitude pour s’y fixer. Il existait alors, sur le territoire de Jumiéges, au bord de la Seine, un château fort, en partie détruit, qui remontait à une haute antiquité. Saint Philibert obtint de Clovis II et de la reine Bathilde la donation de ces ruines, sur lesquelles il jeta les fondements de l’abbaye de Jumiéges. En peu de temps, trois églises furent bâties sous la direction du pieux cénobite ; il fit venir ensuite à Jumiéges soixante-dix religieux des divers monastères qu’il avait visités.

Quelques années après son établissement à Jumiéges, saint Philibert eut de fâcheux démêlés avec Ebroïn, au sujet de saint Léger, évêque d’Autun. Le perfide ministre calomnia son ennemi auprès de saint Ouen, archevêque de Rouen, qui prêta son entremise pour emprisonner notre saint abbé dans la tour d’Alvarède[1].

Saint Philibert parvint cependant à sortir de prison ; soit que saint Ouen eût reconnu l’innocence de son ancien ami, soit qu’il se fût laissé attendrir en sa faveur. Cependant, l’abbé de Jumiéges n’obtint pas de retourner parmi ses frères ; il se retira dans l’île de Hair, ou Herio, connue depuis sous le nom de Noirmoutiers, où il présida à l’érection d’un nouveau monastère. De là, il songeait encore à son troupeau abandonné, à qui il envoya saint Aicadre, à titre de pasteur spirituel. Après la mort d’Ebroïn, saint Philibert, réconcilié avec saint Ouen, revint à Jumiéges, mais il y demeura peu

  1. La tour d’Alvarède fortifiait les remparts de Rouen ; elle était située à l’endroit où est maintenant la rue de la Poterne. (Farin, Histoire de la ville de Rouen, t. I, p. 101.)