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CHAPITRE XV.

çais à leur parler le langage du sens commun, il voulut tenter si les rapsodies du grimoire seraient plus efficaces pour leur repos d’esprit, et consentit à jouer son rôle de sorcier en conscience. Quelque maléficié venait-il se présenter chez lui pour implorer sa guérison, M. Rever faisait d’abord passer son consultant par l’épreuve de certaines formalités propres à jeter de la poudre aux yeux, et à séduire une confiance irréfléchie. Puis, quand il croyait avoir assez fait, il annonçait que le sort, qui avait été jeté, était maintenant anéanti. Au reste, il ne mettait rien de secret dans son procédé ; une fois la guérison opérée, il se hâtait de démontrer au maléficié qu’il n’avait pas travaillé ailleurs que sur son imagination. Ce système d’éclaircissements fut quelquefois suivi d’un heureux succès ; mais souvent aussi il échoua contre une opiniâtreté de conviction, que la reconnaissance se croyait intéressée à maintenir. Un seul trait prouvera que l’intervention de M. Rever, dans les affaires de la sorcellerie, n’était pas dénuée de toute utilité :

Un fermier avait ses vaches malades depuis quelque temps : il avait consulté un vétérinaire de Pont-Audemer ; mais, malgré le traitement prescrit et mis en usage, les pauvres animaux n’avaient pas cessé de dépérir. Persuadé qu’on leur avait jeté un sort, le fermier déclara qu’il ferait un mauvais coup à celui qu’il soupçonnait d’avoir engendré la maladie de ses bêtes. Cependant, entre la menace et la vengeance, il se décida à aller consulter M. Rever. Celui-ci promit une guérison prochaine, et prit ses mesures en conséquence. Son premier soin fut d’aller s’entendre avec le vétérinaire, et tous deux agirent de concert. Il y eut, de la part de l’un beaucoup de formalités accompagnées de paroles inintelligibles, et, de la part de l’autre, quelques prescriptions convenables. Le temps fit le reste, et le mal cessa. Alors M. Rever passa plus que jamais pour sorcier aux yeux du public ; mais le propriétaire des vaches fut mieux avisé : mis au fait par les auteurs mêmes du complot, c’est-à-dire par M. Rever et le vétérinaire, de l’accord qui existait entre eux, il fut convaincu