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REVENANTS.

certaines ruses tracassières en usage parmi les lutins : on croit qu’ils bouleversent les maisons et troublent le sommeil des personnes qui n’ont pas tenu compte d’un premier avertissement. Ils s’annoncent en occasionnant des bruits singuliers, ou en frappant des coups d’une manière reconnaissable. La lumière du jour n’apporte pas obstacle à leurs apparitions, et ne les empêche pas de se prolonger.

Toutefois, les revenants ont des façons navrantes de tourmenter, qui rendent leurs visites plus redoutables encore que celles des esprits familiers. Tantôt ils vous posent sur le visage une main froide et ruisselante comme la pierre humide ; tantôt ils vous détirent les membres dans votre lit, qui devient pour vous le chevalet du martyre ; ils vous étouffent sous un poids opiniâtre, ou vous brisent dans des étreintes douloureuses. En un mot, ils vous assiègent de mille tortures indéfinissables, dont la plus cruelle, peut-être, est de rencontrer, à chaque mouvement que vous risquez, l’ombre pâle du revenant qui se tient immobile devant votre regard épouvanté. Si vous essayez d’écarter cette importune image, vous ne trouvez plus alors qu’une forme vide et insaisissable, que votre toucher fait évanouir.

La petite légende de la fileuse d’Appeville-Annebaut, va signaler au lecteur un des expédients les moins cruels, employés par les morts, pour se rappeler au souvenir des vivants.

Il y a fort long-temps de cela, disent les narrateurs villageois, une bonne vieille de la commune d’Appeville-Annebaut cessa de vivre, laissant une fille mariée depuis quelques années. Celle-ci avait promis à la mourante de lui faire dire, avant un mois, une messe dont elle gagnerait le prix au travail de son rouet à filer ; mais les cœurs jeunes sont oublieux : la messe ne fut point dite. Or, une nuit, trente-trois jours après le décès de la mère, les deux époux étaient au lit, avec leur jeune enfant au milieu d’eux. Tout-à-coup ils croient entendre dans la chambre le bruit d’un rouet qui tourne, et, bientôt, l’enfant éveillé en sursaut s’écrie : « Oh ! grand’mère,