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ESPRITS MÉTÉORES.

Pendant ce temps, l’orage se forme, l’ouragan se prépare, la nue éclate. Ces maléfices s’exécutent spécialement pendant la nuit ; alors le soleil, à son lever, recule de frayeur, et n’ose paraître de trois à quatre jours[1].

Le dernier des meneurs de nuées, célèbres dans la Normandie, était un fou très original, nommé Pierre-Louis Le Barbier, qui vivait à Rouen il y a peu d’années. Les nombreux titres d’honneur qu’il s’était décernés, expliquent quelles étaient les superbes prétentions de son pouvoir et de sa science ; voici la kirielle pompeuse de ces qualifications, qu’il prenait soin d’ajouter à sa signature, à la fin de ses nombreuses Instructions et dans toutes les occasions importantes :

Pierre-Louis Le Barbier, français,
Dominatmosphérisateur, Dominaturalisateur, Doministérisateur,
Dominhominisateur, Retrempérisateur, Prolongavisateur du monde entier, Températurisateur, Presqu’omnipotensutilisateur omnibus, et, par un hiver doux et sans interruption de travaux, sans augmentation de consommation de combustible, soit bois ou charbon. Donamillionisateur, Donamilliardsisateur, et, par la pluie tombant à propos, Donaminedorisateur.

On voit qu’il manquait, à cette nomenclature honorifique, l’épithète de magicien ou de sorcier. Or, cette omission neutralisa toujours le succès de Louis Le Barbier auprès du peuple. En vain le savant Dominatmosphérisateur se montrait-il parcourant les rues, et officieusement occupé à gourmander les nuages, à l’aide de l’énorme canne de fer blanc qu’il portait toujours avec lui ; en vain enseignait-il, avec une complaisance désintéressée, à tous ceux qui avaient recours ses instructions, comment l’on pouvait provoquer la pluie en versant quelques seaux d’eau sur un tas de fumier chaud et humide, comment il était facile de diriger les vents à l’aide d’un soufflet de cuisine, ou, au choix, d’un plumasseau, d’un cotillon marin, d’une pompe à incendie, voire même du

  1. Légier, Usages et Tradit. des habitants de la Sologne, (Mém. de l’Acad. celt., t. II, p. 206.)