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CHAPITRE XII.

Quoi qu’il en soit, il n’y a guère de pire condition que celle des loups-garous de notre province ; car, outre que l’histoire ne leur attribue aucun des bons tours du métier, pas même le moindre déjeûner de chair humaine, fût-ce un vendredi, il faut avouer aussi que le diable les traite plus durement que leurs confrères des autres pays : ils jeûnent comme des anachorètes ; ils sont flagellés comme des martyrs ; ils sont contraints, les infortunés, pendant leur promenade nocturne, de faire une station au pied de toutes les croix, au milieu de tous les carrefours, pour y être fustigés par un martinet invisible dont Satan lui-même dirige les coups avec une ardeur infatigable[1]. Il arrive aussi que le diable fait sa monture du loup-garou, et que, pour satisfaire quelque caprice vagabond, il force la piteuse bête à passer sans détours à travers champs, fossés, épines, broussailles, etc. Le lendemain, lorsque le patient a repris sa figure habituelle, il conserve encore les traces sanglantes de sa périlleuse excursion ; et, d’après ces stigmates accusateurs, il se trouve honteusement signalé pour avoir porté le varou[2].

Dans la partie du département de la Manche, la plus voisine de la Bretagne, on croit qu’il faut avoir été excommunié jusqu’à sept fois, ou avoir vendu son ame à Satan, dans le but de s’enrichir, pour devenir loup-garou. Les loups-garous de cette contrée empruntent toutes sortes de formes d’animaux à leur fantaisie ; ils font leurs expéditions depuis Noël jusqu’à la Chandeleur[3]. Un proverbe du Bessin fait aussi allusion à ce prodige :

À la Chandeleur
Toutes bêtes sont en horreur.

  1. L. Dubois, Annuaire statistique de l’Orne, 1809.
  2. P. Fillastre, Superst. du canton de Briquebec ; (Annuaire de la Manche, 1832, p. 212.)
  3. L’Hermelin, Voyage hist. et descriptif sur les confins des départem. de la Manche, de l’Ille-et-Villaine et de la Mayenne. Paris, 1837, in-18.