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CHAPITRE XII.

racle de l’opération s’expliquait par l’analogie des prodiges naturels de la transformation des plantes, et des merveilles chimériques de la transmutation des métaux. Venait ensuite la série des preuves journalières dont l’énumération était plus que surabondante. Tout exemple faisait autorité, jusqu’à l’âne savant que le misérable bateleur dressait aux jongleries de son charlatanisme. L’intelligente soumission du pauvre animal était suspecte au démonographe, qui n’avait expérimenté que des doctrines anti-progressives ; aussi celui-ci ne doutait-il pas qu’une figure humaine ne fût traîtreusement cachée sous la peau du docteur aux longues oreilles[1].

À l’aide d’une argumentation aussi puissante, il fallait bien que les esprits les plus incrédules fussent convaincus. D’ailleurs, n’avait-on pas, pour faire taire toute réplique, le jugement des savants, des théologiens, des inquisiteurs, et autres gens experts en matière de sorcellerie ? Le savant Gaspard Peucer avait long-temps douté de la métamorphose des loups-garous, mais il s’était converti de son incrédulité sur le rapport de certains marchands livoniens qui lui avaient débité une fable tout-à-fait analogue à celle que Pline raconte d’après Evanthès. Suivant l’affirmation de ces marchands, c’était une croyance générale en Livonie que, tous les ans, à la fin du mois d’octobre, il se trouve quelque vaurien de bas étage qui va sommer les sorciers de se rendre à un endroit désigné. S’ils refusent d’obéir à cet ordre, le diable les y contraint à coups de verge de fer. Lorsqu’ils sont réunis au jour marqué, le capitaine passe à la tête de la bande, et traverse un fleuve à la nage, suivi de quelques milliers de sorciers. Ce trajet accompli, ils se trouvent tous changés en loups, qui, se jetant alors sur les hommes et les troupeaux, causent des désastres infinis. Douze jours après, ils reviennent au même endroit, où ils reprennent leur première forme en traversant de nouveau le fleuve[2]. Quand le savant Peucer donnait tête baissée dans de

  1. Bodin, De la Démonomanie des Sorciers, liv. ii, chap. 6.
  2. Cl. Prieur, Dialogue de la Lycanthropie ; Louvain, 1596, p. 36.