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ANIMAUX FABULEUX.

pour le voisinage des eaux, n’est due, peut-être, qu’à l’observation, faite antérieurement, que les endroits marécageux sont favorables à la croissance démesurée de certains reptiles. Au reste, la tradition, qui attribue au Dragon une soif inextinguible, a été commentée avec des détails d’une bizarrerie très ingénieuse dans les écrits que nous a légués le moyen-âge. On lit, dans le neuvième livre du Roman d’Alexandre : « Monseigneur sainct Jeroisme dit que le Dragon a tousiours soif et à paine se peult saouller d’eau quand il est dedans une rivière. Par ce il a tousiours la gueulle ouverte en vollant, pour tirer le vent à soy pour reffroidir sa challeur et son ardeur qui l’esmeult à si grant soif.

« Quand le Dragon voit une nef en la mer, et le vent est fort contre la voille, il se met sur le tref de la nef, pour cueillir le vent pour soy reffroidir. Et est aucuneffois le Dragon si pezant et si grant qu’il feit aucuneffois verser la nef par sa pezanteur. Mais quant ceulx de la nef le voyent approucher ilz ostent la voille pour eschapper du dangier[1]. »

La célèbre tradition druidique de l’Ovum serpentinum (l’Œuf de serpent), que nous avons citée plus haut, paraît avoir donné lieu à la superstition du Codrille[2]. Le Codrille est un petit œuf avorté, que le peuple croit avoir été pondu par un coq ; il n’a que du blanc et point de jaune. Cet œuf renferme le germe d’un serpent, qui deviendrait monstrueux, si on le laissait éclore, et qui, après s’être caché quelque temps sous les toits ou dans les fentes d’une muraille, causerait les plus grands ravages dans le pays. On dit aussi que, lorsque le Codrille a atteint l’âge de sept ans, sans être vu de personne, il lui pousse des ailes, et que, le jour même où elles sont de force à traverser les airs, le nouveau Dragon s’enfuit vers la tour de Babylone, lieu de l’abomination et de la dé-

  1. Extrait du neuvième livre du Roman d’Alexandre, d’après l’ancien manuscrit de Saint-Germain-des-Prés, cité par M. Berger de Xivrey, Traditions tératologiques.
  2. Mém. de l’Acad. celtiq., t. III, p. 310.