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LUTINS

trouvaient très satisfaits d’avoir recruté sa compagnie. Cependant, ils étaient arrivés devant un étang qui est proche de Berneville. Là, notre malicieux gamin se saisit d’un des pêcheurs, et le lança en l’air comme il aurait pu faire d’un volant, et de manière à ce qu’il dût retomber dans l’eau. Mais ce fut une grande surprise pour le méchant lutin de voir, au contraire, que le pêcheur était tombé sain et sauf de l’autre côté de l’étang. — Remerciez votre patron, s’écria-t-il de sa petite voix cassée, qui vous a inspiré ce matin de prendre de l’eau bénite à votre lever ; sans quoi, il vous fallait essayer d’un bain de surprise.

Voici une autre histoire que les vieilles femmes du Pollet racontent à leurs petits enfants : Un grand nombre d’enfants jouaient un jour sur le rivage, quand un très petit homme, le Petit Homme rouge, vint à passer par là, et les enfants tout aussitôt de se moquer de lui. Le petit homme se fâche, il ramasse des pierres et se met à les lancer aux insolents marmots. Il était tout seul de son côté ; cependant les pierres pleuvaient comme si cent bras les eussent lancées, ce qui forçait les pauvres enfants de s’enfuir tout effrayés, quoique aucun d’eux n’eût reçu de blessures. Les petits fuyards allèrent d’abord se réfugier dans le bateau d’un pêcheur ; mais le nain les suivit, continua de les bombarder si bien, que, pour se mettre à l’abri, ils descendirent à fond de cale et y demeurèrent cachés. Cependant, ils entendirent encore résonner les pierres sur le pont pendant plus d’une heure entière, et ils s’imaginaient que tout le vaisseau en serait couvert et eux ensevelis dessous. À la fin, tout parut tranquille, aucun bruit ne se faisait plus entendre ; alors, ils se hasardèrent à regarder, et virent que le petit homme était disparu ; quant aux pierres, il n’en restait pas une seule sur le pont. Bien contents de l’Homme rouge, qui les tenait quittes pour la peur, ils n’osèrent pas cependant le remercier par de joyeuses acclamations, mais chacun d’eux regagna sa maison à toutes jambes[1].

  1. Fr. Shoberl, Excursions in Normandy, t. I, p. 259.