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LUTINS

Il serait inutile de chercher, dans ce nom de cheval Bayard, qu’on donne au gobelin, une analogie plus éloignée qu’une étymologie. Le mot Bayard signifie, en quelques patois, bay, de couleur rousse ; cheval Bayard, cheval roux. C’est à ce titre que des chevaux célèbres dans les annales de la chevalerie ont porté ce nom : le cheval des quatre fils Aymon et celui du paladin Renaud de Montauban, s’appelaient Bayard.

Le gobelin affecte parfois, aussi, la figure et les manières d’un petit villageois. Il se pavane sous ce masque hypocrite, et, pour complaire à sa manie, il faut l’appeler Bon Garçon[1] ; cette qualification le flatte beaucoup, et ne manque pas de provoquer ses bonnes grâces. Aussi, le paysan normand ne se fait-il pas faute de la lui accorder, avec une déférence narquoise que la peur et l’intérêt stimulent.

Nous osons à peine maintenant ajouter quelques explications sur la prédilection du lutin pour les jeunes filles ; car il y a un malencontreux proverbe qui s’est avisé de persiffler cette gracieuse et platonique sympathie :

Où il y a belle fille et bon vin,
Là aussi hante le lutin !

En dépit de l’intention malveillante de ce dicton, nous persistons à penser qu’il devait y avoir, entre la jeune fille et le lutin, toutes les conditions d’une joyeuse camaraderie, et nous fondons notre opinion sur des analogies de caractère faciles à signaler. N’ont-ils pas tous deux, en effet, les mêmes délicatesses de propreté et dégoût ; ce soin des détails, cette préoccupation des petites choses, qui appartiennent aux espèces intermédiaires ; un vif appétit aiguisé par la friandise ; une vive humeur aiguisée par la malice ; un amour-propre très digne, très prude, très amusant, rehaussé de quelque adorable ridicule qui le coiffe du bonnet pointu ; avec cela, des enthou-

  1. Le Gobelin anglais, Hob-Goblin, porte aussi le surnom de Robin Good-fellow, Robin Bon-garçon.