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CHAPITRE V.

enlevaient les bergers qui gardaient les troupeaux pendant la nuit, les femmes nouvellement accouchées, les enfants[1], et conduisaient dans leurs repaires ces malheureuses créatures.

Les femmes en couche parvenaient cependant à apaiser la colère jalouse des Dames blanches, et même à se les rendre favorables, lorsqu’elles avaient le soin de tendre un drap blanc autour de leur lit. Plusieurs auteurs font descendre les Dames blanches des nymphes classiques ; Bekker, qui rapporte cette opinion, dit aussi que c’étaient des sybilles, des femmes connues anciennement par leur sagesse et leur science[2]. Nous inclinons vers ce sentiment ; il nous paraît, en effet, qu’on doit assimiler les Dames blanches aux fées magiciennes, dont elles ne sont qu’une dégénérescence fantastique[3]. En Allemagne, où les Dames blanches ont acquis, en quelque sorte, droit de nationalité, il en est parmi elles qui s’attachent à certaines maisons, certaines familles, dont elles se font le génie protecteur. Nous avons signalé déjà ce trait de caractère dans les fées magiciennes : ainsi Mélusine et nos fées de Pirou. Si peu précises que soient les inductions qu’on peut tirer des étymologies, rappelons ici que M. de Roquefort, dans ses notes sur le Lai de Lanval, fait remarquer que le nom de Genèvre, femme du roi Arthur, ou Genièvre, ou Gwennère, suivant quelques anciens romans anglais, pourrait bien être formé du breton gwenn, blanc, et eure, femme, c’est-à-dire femme blanche[4]. On a cru retrouver aussi dans le gallois la même étymologie au nom de Morgue,

  1. Ce dernier trait, c’est-à-dire les enlèvements et les substitutions d’enfants, leur est commun avec toutes les espèces de fées. Voyez le chapitre suivant.
  2. Bekker, Monde enchanté, t. i, p. 289 ; t. iv, p. 317 et 318.
  3. Les vierges de l’île de Sein sont devenues, dans l’imagination du peuple breton, de ravissantes Korrigan, petites fées de deux pieds de haut, semblables aux Elves de la Scandinavie. (Th. de la Villemarqué, Chants populaires de la Bretagne, Introduction, p. xlv et lvj.)
  4. De Roquefort, Poésies de Marie de France, t. i, p. 220.