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CHAPITRE V.

La danse est le plaisir favori des fées. La nuit, sous les rais les plus limpides de la lune, elles se rassemblent pour former une ronde, et, sans courber le brin d’herbe sous leurs pas, sans effleurer le sol, elles dansent, ou plutôt glissent au son d’instruments mélodieux. Malheur à l’imprudent qui s’approche de ces mystérieuses coryphées ! un vertige irrésistible l’entraîne à prendre part à leur séduisant plaisir. D’abord, accueilli avec grâce, encouragé avec complaisance, le profane se félicite de son audace. Mais, bientôt, le cercle magique redouble de vitesse, tournoie sans relâche, s’élance, bondit, puis se rompt avec effort, et laisse échapper l’infortuné, qui tombe, épuisé, contre le sol. Quelquefois même, comme trait final, les fées malicieuses s’amusent à lancer leur partenaire à une hauteur considérable, et si la mort ne suit pas cette chute, il se retrouve, au matin, brisé de contusions, endolori de meurtrissures[1].

La place où les fées ont dansé se fait reconnaître ; elle est circulaire, et l’herbe y est comme brûlée. C’est ce que le peuple appelle Cercle des fées. Il y en a de deux sortes : les uns avec un gazon vert, au milieu d’un contour desséché, et les autres pelés au centre, mais entourés à la circonférence d’un gazon plus épais et plus frais que le reste de la prairie.

Malgré la prédilection des fées pour la danse, ce plaisir n’est pas l’unique passe-temps de nos fées normandes. Dans certains cantons, on leur prête toutes les habitudes d’activité et de propreté qui distinguent la race des Elfes. Ainsi, elles fréquentent beaucoup les fontaines solitaires, où, dit-on, elles lavent leur linge, qu’elles font sécher sur les pierres druidiques, et qu’elles mettent en réserve dans ces petites cavernes creusées à l’intérieur des rochers, ou ménagées sous la butte des tumulus, et, à cause de leur destination, appelées : Chambres ou grottes des fées. Cette occupation, si convenable à leur sexe, ne suffit point encore à nos habiles ménagères ; elles

  1. Pluquet, Contes populaires de l’arrondissement de Bayeux, p. 3. — Le même, Essai historique sur Bayeux, p. 319.