Page:Bonnetain - Charlot s'amuse, 1883.djvu/40

Cette page a été validée par deux contributeurs.
28
CHARLOT S’AMUSE

madiel étaient pauvres, et pas un pêcheur du pays ne voudrait d’une fille n’ayant pas même en dot une barque neuve. Ce qu’on gagnait à la mer, ses frères et son père le buvaient. Elle songea à aller avec eux au pardon : peut-être, à la danse, trouverait-elle un amoureux qui la prendrait pour sa beauté. Elle pria ses frères de l’emmener, et réussit à les suivre. Tout l’été, elle se rendit ainsi aux fêtes des villages voisins, oubliant parfois d’aller visiter la folle, à l’hospice, dans sa rage de danser. Elle vit de la sorte tous les jeunes gens du pays ; même, elle passa pour une fille perdue, et le vieux recteur dut la sermonner pour sa légèreté et la menacer de l’enfer. Légèreté inutile. Après avoir rôdé dans le village, les amoureux, renseignés, disparaissaient, se souciant peu, ceux de la côte comme les cultivateurs du haut du pays, d’épouser une fille n’ayant que sa croix d’or et ses coiffes pour tout bien. Anne sentait s’exaspérer les révoltes de sa virginité impatiente de fuir. Longtemps, elle se raccrocha à sa foi, multipliant les oraisons et demandant un mari à Notre-Dame de la Mer. La Sainte Vierge resta sourde.

Un moment, désespérée, elle songea à se faire religieuse. Tous les jours, elle allait porter du poisson à une lieue de là aux bonnes