Page:Bonnetain - Charlot s'amuse, 1883.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.
14
CHARLOT S’AMUSE

mouches et représentant Abd-el-Kader et le général Bugeaud, des loques sans nom pendaient. Dans un coin, à terre, la trousse de cuir du gazier traînait au milieu d’épluchures de légumes, quelques fers à souder et des bâtons d’étain luisant accrochant au milieu des feuilles de salade les tremblottantes lueurs de la chandelle. Sur la table sale, entre une assiette grasse et un triangle de Brie posé sur un lambeau de journal, il y avait un litre de vin et une bouteille d’eau-de-vie aux trois quarts vide. Rémy, pris à cette vue d’une inconsciente fringale, contemplait fixement le fromage. La mère Duclos suivit la direction de son regard. Secouant son ivresse, elle s’approcha et sortit d’un placard du pain, un verre et un couteau.

— Mangez donc, dit-elle.

Rémy ne se fit pas prier et, goulûment, se mit à dévorer. La femme s’était assise près de lui, et, longuement, le regardait toute songeuse. On n’entendait dans le grand silence de la chambre que le tic-tac d’un coucou, le murmure régulier de la respiration de l’enfant, un bruit pressé de mâchoires avides et le claquement monotone d’un torchon qui, pendu à l’appui de la fenêtre et trempé de pluie, battait les carreaux dans un roulement sourd, à chaque souffle de la bourrasque.