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CHARLOT S’AMUSE

cet œil vitrifié et ces lèvres pâles retroussées sur les gencives violettes. Lucien, plus brave, s’approchait et prenait le papier. Ils le rapportaient en ville, et les mères se le passaient en pleurant. C’était l’épître naïve et rustique qu’adressaient au mobile ses vieux parents restés seuls à la ferme. Les recommandations s’y mêlaient aux nouvelles des gens du pays, à des détails sur les bestiaux : « Blanchette avait mis bas… On avait vendu deux porcs… Le maître d’école lui souhaitait bien le bonjour… Il fallait qu’il se soignât bien… » Vers la signature, l’écriture semblait tremblante et la tendresse rude, que la plume du paysan n’avait pu ou su exprimer, se devinait là, dans les déliés plus grêles et dans les lettres tracées à deux fois.

La guerre continuant, Duclos s’était fait à ces choses. Ses souvenirs, à dater de cette visite à la Burgonce, devenaient d’ailleurs confus. Dans la fin de cette année-là, il ne se rappelait que vaguement les émotions. Un épisode seul accrochait sa mémoire au passage, la peur qu’il avait éprouvée certain jour.

Son ami Lucien, parti à Lunéville pour une semaine, l’avait laissé seul. Il errait comme une âme en peine, n’ayant pas d’autre camarade. Les désirs renaissaient plus vifs, excités