Page:Bonnetain - Charlot s'amuse, 1883.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
92
CHARLOT S’AMUSE

au teint blafard, au regard terne et languissant. Il avait la voix voilée, les reins déprimés, l’air apathique, les traits tirés, les lèvres exsangues. Sa paupière supérieure, ordinairement appesantie et retombant sur le globe oculaire, laissait voir, lorsqu’elle se relevait, un œil large et bleu dont la douceur rêveuse cachait l’inintelligence. Sa paupière inférieure était entourée d’une zone bleuâtre qui se dégradait vers les joues en une teinte bistre. Les hanches molles, il courait les coudes en arrière comme une fille. Le directeur le tutoyait lorsqu’ils étaient seuls.

— Et bien ! tu ne dis plus rien, Bébé ? fit-il, quand il fut fatigué de parler de son village.

Charlot ne répondit pas, prêt à pleurer maintenant. Depuis qu’il était assis, sa douleur renaissait, cuisante, comme avivée par la fraîcheur de l’herbe qui pénétrait jusqu’à sa peau à travers le mince coutil de ses vêtements. Bientôt, dans l’attendrissement que lui soufflaient et sa souffrance et la sympathie tendre instinctivement devinée chez le frère, il raconta ses misères et son supplice d’après le dîner, se dégonflant le cœur tout d’un coup. Il s’était couché de côté, soulagé d’avouer son secret et de ne plus écraser sa chair enflammée contre le sol. Son compagnon, comme gagné