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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

lâche ! criait-il, un cadeau de Prussien ! un cadeau des gens qui veulent tuer papa et tout le monde ! »

Marguerite n’avait pas vu si loin, et, soit repentir de son crime ou regret du joujou, elle s’est mise à pleurer de toutes ses forces. J’ai grondé Robert et l’ai forcé à ramasser la charrette pour la rendre à l’affligée, puis nous avons été consulter la justice de maman.

J’ai vu que maman était aussi perplexe que moi. Blesser le sentiment affectueux de ce Nurembergeois en lui rendant ses dons était le décourager d’être bon et le disposer à la dureté, c’était aussi enseigner la rancune à Marguerite…, et cependant maman a toujours en mémoire la règle posée par mon père : « L’ennemi n’est pas un hôte, il est l’ennemi, » et elle répète souvent combien il serait fâcheux pour l’honneur de la France qu’on parût indifférent à la lutte des armées en semblant accepter la présence des Prussiens. Enfin elle a rendu la charrette à Marguerite et est allée trouver le pauvre soldat qui guettait, à demi caché par un sapin, l’effet de ses politesses.

« Vous avez voulu causer un plaisir à ma petite fille, lui a-t-elle dit, merci, mais je vous prie de ne plus rien faire pour elle et même de vous en occuper le moins possible. Ma petite fille est Française, elle doit subir, dans la mesure qui appartient à son âge, l’épreuve qui nous frappe tous. Elle peut se passer de jouets, quand tant d’autres privations pèsent sur