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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

avec une sorte d’amertume qu’on a vu le soleil reparaître aujourd’hui plus brillant que jamais. Paris prend l’aspect d’un camp. Les mobiles font l’exercice sur tous les trottoirs, les soldats traînent partout, on voit peu d’officiers. La population est calme. Il n’y a, hélas ! pas le moindre enthousiasme, plutôt une nuance de stupeur.

Y aura-t-il siège ? C’est là la question. Vous savez de quelle ardeur je désire la résistance, elle seule peut relever notre honneur, mais qui saurait prévoir ce qu’une population si considérable nous laissera faire ? À mon avis, tout dépend du premier moment ; si nous tenons quinze jours, nous tiendrons trois mois, car l’esprit public se ranimera, il s’exaltera par sa résistance même. Il faut donc armer, armer jour et nuit et se roidir sous le premier choc.

Ma femme chérie, mes enfants, vous le voyez, je désire un long siége, et pourtant il me séparera de vous… de vous sans lesquels je n’ai jamais su vivre… et il faudra vous sentir entourés par l’ennemi, en proie à l’inquiétude, peut-être même au danger. Je n’oublie pas André, il est seul. Que Dieu le suive et nous le ramène ! L’heure est solennelle. Dites-vous bien tous et dites à André que votre père a été infiniment heureux par vous, qu’il vous bénit… que chacun fasse son devoir où il est — et adieu !

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