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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

il subissait son épreuve, et ne laissait voir sur son visage qu’une douleur sans colère.

Lentement et plus tristement encore, on reprit la marche interrompue ; le cimetière s’ouvrit, la tombe était là, béante ; et à mesure que descendait le cercueil, à mesure aussi, semblait-il, les glorieuses promesses de l’Évangile, proclamées à voix haute, élevaient vers les espérances de la résurrection les âmes abattues. La dernière prière se termina par une bénédiction et la foule s’écoula peu à peu. La famille resta bientôt presque seule, chacun avait compris que l’effort de la pauvre mère dépassait les limites des forces humaines et qu’il fallait lui éviter même l’ébranlement des sympathies. Il n’y avait plus dans le cimetière que le pasteur, les de Thieulin, Barbier et quelques vieux serviteurs quand M. de Vineuil emmena sa femme, toujours à son bras.

Au moment de passer la porte du cimetière, ils virent que deux hommes s’étaient comme cachés dans l’ombre. Leur veste bleue, la casquette plate qu’ils tournaient dans leurs doigts, faisaient reconnaître l’uniforme ennemi, mais leurs figures étaient émues et leurs yeux mouillés.

Mme de Vineuil retint un instant son mari, et tendit à l’un, puis à l’autre, sa main restée libre : « C’est Franz et Bürkel, nos malades de cet hiver, » dit-elle, en réponse à son regard interrogatif ; et la voiture s’étant avancée, la famille de Vineuil y monta.