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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

repassait lentement sur la terrasse. Le soldat arrêta le volet de la pointe de son sabre : « Sie dürfen nicht zumachen. » (Vous ne devez pas fermer.)

Cela était peu de chose auprès du reste. Je renversai doucement les dominos, et tandis que les danses continuaient, que le casque pointu passait et repassait devant la fenêtre, que notre petite lampe fumait, que notre poitrine serrée se gonflait de nouveaux sanglots, nous essayâmes de jouer, mais ce fut un triste essai. Au bout d’un instant, nous regagnâmes notre coin où, du moins, la sentinelle ne nous voyait plus, et, la main dans la main, nous attendîmes.

Les pires choses prennent fin comme les meilleures. Quand une sorte de silence se fut fait, la pauvre Marie introduisit des couvertures et des matelas réellement soustraits à l’ennemi. — Nous n’avions pas toujours été si bien couchés chez Roland au moment de la grande presse des blessés ; mais ce dénûment dans sa propre maison avait quelque chose de particulièrement pénible.

Ce matin, en m’éveillant, par terre sur mon matelas (pardon de cette vue d’intérieur), je m’aperçus qu’Adolphe avait déjà quitté le sien. Il était tout habillé et regardait d’un air mélancolique à travers les carreaux marbrés de givre.

— « Espérons qu’il s s’en iront aujourd’hui, » lui dis-je.

— « Peut-être ; — mais que font-ils ou ne font-ils pas