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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

pas d’un certain charme. Mais savoir que Chanzy est en déroute et penser que cette neige si belle sert là-bas vers l’Ouest de lit funèbre à tant de braves gens, qu’elle retarde nos canons, gèle les pauvres pieds de nos soldats lassés, qu’elle est enfin, elle aussi ! notre ennemie, cela est affreux. On ne veut plus la voir, et comme elle est partout en bas, on regarde en haut… Ciel du Dieu clément, ciel d’où viennent les pardons, quand donc auras-tu pitié ?…

Cela a été pourtant un bon moment que cette joie de la mère Barbier. Son fils va bien, quoique ayant peine à supporter le dur régime des prisonniers ; on voit que, malgré son apathie native, il sent les outrages qui ne leur sont pas épargnés. Combien d’autres, comme lui, auront appris trop tard ce que coûte cette insouciance de chacun dont se compose l’insouciance du pays ! L’après-midi s’est passée à causer doucement pendant que Cadet, qui nous avait escortés, parcourait le village pour découvrir des vivres. Toute cette partie du pays a été traitée aussi durement que nos environs. Les deux fermes les plus proches de celle de Barbier ont été brûlées entièrement sous prétexte que des francs-tireurs y avaient logé. Nous sommes revenus avec quelque peu de farine, des pois secs, du petit salé, un dindon et un tonnelet de cidre. Dire que cela constitue une fortune au temps actuel dans ce pays du Perche, si riche d’ordinaire !