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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

et malgré, la forme plaisante, on sentait la lassitude dans l’accent.

L’ensemble de la population, et surtout de la population féminine, reste admirable. Il y a des illusions, parfois un peu de jactance, mais le sentiment qui domine est celui de la grandeur de la cause auprès de laquelle tous les sacrifices sont minimes. Et cependant la mortalité augmente de semaine en semaine, les enfants surtout sont frappés ; tu serais navrée de la vue des chétifs petits visages qu’on rencontre.

Hier, j’en étais impressionné plus que de coutume encore, en traversant Paris pour aller inspecter le fort de ***, et, je ne sais comment, je me suis cru transporté à vingt ans en arrière, dans ce wagon qui nous ramenait toi et moi de Marseille, avec Maurice tout petit. T’en souviens-tu ? nous n’avions pu trouver de lait pour lui au buffet d’Avignon et tu m’assurais, de la meilleure foi du monde, que jamais l’enfant ne supporterait d’attendre sans ce lait jusqu’à l’arrivée à Lyon. J’avais fini par m’inquiéter aussi. Nos pauvres petits Parisiens ! depuis combien de temps ne leur manque-t-il pas ce lait que leurs mères aussi leur savent nécessaire !

J’étais donc hier au fort de ***, et là, du moins, ma visite a été un vrai plaisir. Les forts, depuis le siége, sont livrés à la marine. Ainsi qu’un vaisseau, le fort est isolé du reste du monde, et les marins s’y sont installés de manière à rendre leur prison fixe