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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

nients de ma démarche. Je n’étais pas à trois cents pas que deux traînards s’étaient relevés du fossé en entendant mes roues, et, sans me demander du tout ce que j’en pensais, ils avaient grimpé dans ma carriole. Pas loin après ce fut un autre qu’il fallut prendre ; après encore, nous tombons dans une bande et ceux-là veulent faire déguerpir les trois que j’avais pour se mettre en place, tout comme si j’étais venu là pour leur convenance. C’est comme cela qu’ils m’ont fait passer la journée, naturellement sans rattraper M. André et à la grande misère de ma jument pour qui la route, tout enneigée et pleine de monde, n’était point commode.

Aussi madame comprendra que je leur aie joué un tour de ma façon. À un village, ils descendent chercher de quoi boire et manger ; je leur laisse ma carriole pour leur donner confiance et m’en vas à la piste d’une traverse passable. Je reviens, ils étaient bien occupés à conter leurs affaires ; je détache ma bête et me sauve. Ils courent après leur équipage, mais je savais par où aller et eux n’en avaient pas idée, tant il y a que je leur ai échappé.

Quoique ce soit grand’pitié de se méfier du monde de son pays, j’ai résolu après cela de me tenir autant que ça se pourrait dans les solitudes et d’attendre que les chefs aient remis leurs gens à l’obéissance avant de rentrer dans le courant. Madame peut croire que j’ai eu une fière misère à endurer et ma bête