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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

il restait peu de troupes devant eux en état de leur tenir tête, de sorte qu’ils ne se hâtaient pas, et notre artillerie et son matériel avaient le temps de traverser le pont de l’Huisne. On m’a dit que le désordre dans les rues du Mans fut effroyable, je n’en ai rien vu. À Pontlieue même cela ne se passait pas trop mal.

Le 12, vers onze heures, nous étions décidément ramenés en arrière, mais notre tâche était achevée, car l’armée avait passé, et le pont sautait au nez des Allemands. Il sautait trop tôt pour moi et une vingtaine de camarades, qui avions résolu de tenir tant que faire se pourrait et qui restions abandonnés sur la rive gauche. On trouve à cet endroit, le long de la route, une usine dont j’ignore la destination ; j’ordonnai à ma petite troupe de se réfugier entre les divers bâtiments qu’entoure un jardin, c’était du temps de gagné et quelques coups de fusil de plus à tirer.

Nous traversions à toutes jambes le parterre quand un jeune homme se jeta au-devant de nous et, nous appelant, nous conjura de le suivre ; il pouvait peut-être nous sauver, disait-il. C’était le fils du manufacturier. Il nous guida, toujours en courant, au bord de la rivière ; il y avait fort heureusement, cachée par les buissons de la rive, une longue planche étroite qui servait aux ouvriers de l’usine ; nous ne pûmes y passer que deux par deux de peur de la briser, et j’avoue que cela nous semblait bien long. Rien ne trouble un parti pris de se faire tuer comme une chance de