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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

— Ceux-là sont morts, laissez-les ; vous en tuerez d’autres. Dites-nous le chemin pour rejoindre au plus vite un corps français. »

Il se décida à nous guider, peut-être par un vague besoin de s’épancher ; et, comme les flocons de neige commençaient à tomber, notre petite colonne s’ébranla, laissant les trois pauvres morts au silence et à la nuit qui envahissait rapidement ces grands bois.

« Savez-vous pourquoi je les déteste, les Allemands ? commença notre guide. C’est pas pour la guerre, on avait tort des deux côtés ; c’est pas pour leur victoire, fallait bien que quelqu’un gagnât ; mais j’en ai connu, un Allemand, et après ce que j’ai vu de lui, je suis dans mon droit en disant : C’est de la canaille. De mon état, je suis souffleur pour la verrerie. J’ai travaillé dix ans à la verrerie de Rougemont, — on la voit du chemin de fer, c’est à droite, sur la hauteur, en sortant de Cloyes pour venir à Vendôme. En 68, il se trouva un ouvrier nouveau, un Allemand, habile assez à l’ouvrage, mais surtout dessinant, mais là, comme un faiseur d’images. Il a été malade, et le maître et tout le monde l’a soigné plus que personne autre ne l’aurait été, parce qu’il était étranger ; pourtant le maître pensait bien ne pas le garder longtemps, vu qu’il pouvait faire mieux. Il dessinait tout et se faisait expliquer chaque pays de l’environ, soi-disant pour s’instruire. Quand il est quitté, au