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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

nous, nous allions remplacer les provisions de lainages dans le double fond de la voiture, sous l’étalage.

Le varioleux fut enfourné d’abord, et la tête la première, sous cette voûte sombre ; je passai ensuite et me fis aussi mince que possible ; cependant, quand le troisième voulut se glisser entre nous deux, la consternation nous saisit : il n’y avait pas de place ! Nous eûmes une demi-heure d’angoisses ; enfin, à force de combiner, de pousser, de tasser, et en admettant que l’un de nous porterait sur les deux autres, il fut convenu, que cela allait à merveille. M. Richard ne croyait nécessaire de nous cacher aussi complètement que sur les grandes routes ; au premier chemin de traverse, l’un des trois marcherait et donnerait ainsi de l’air aux camarades.

Tu ris, peut-être, mon petit Robert ? Eh bien, si l’un de nous avait ri ou remué quand nous traversions le faubourg plein de Prussiens, cela leur aurait donné quatre hommes à fusiller. M. Richard m’a dit que, malgré le froid, la sueur lui coulait du visage tandis qu’il passait, la main à la tête de sa bête, entre ces groupes d’hommes fourbissant leurs armes ou pansant leurs chevaux. Il se sentait pâle et hagard, et n’osait se retourner pour voir si tout allait bien dans sa longue voiture. Par moments, il lui prenait comme une tentation de s’évanouir ; et alors, qu’arriverait-il ?