Page:Boissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

227
UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

varioleux, après avoir été en grand danger, mange comme quatre, et nous le supplions maintenant de rester aussi varioleux que possible, en apparence du moins, pour tenir à distance nos gardiens.

Car voilà maintenant le danger qui nous menace. Nous guérissons trop vite, et il est fort à craindre que si, par malheur, notre bon état était constaté, nous fussions de suite envoyés en Allemagne.

À six lieues d’ici, une brave dame avait rempli sa maison des blessés du pont de Saint-Hilaire, elle les soignait comme ses enfants. Les Prussiens lui avaient même laissé quelques-uns des leurs, elle les traitait comme les Français. Avant-hier, elle reçoit la visite d’un inspecteur. On lui trie ses hommes, on lui laisse bien ceux qui ne guériront pas, mais les blessés légèrement, ceux qui peuvent se tenir debout, sont mis à part, puis envoyés sous escorte à Orléans. On ne leur a pas caché qu’ils allaient faire connaissance avec la Deutschland. La pauvre dame a prié, supplié, invoqué les soins donnés par elle aux Allemands ; elle a juré de représenter ses chers convalescents à première réquisition si seulement on voulait leur accorder une semaine encore pour achever de guérir ; rien n’a fait. Depuis que cette histoire-là est connue, il y a un nuage de plus sur le front du bon M. Richard. Et comme s’il voulait voiler son nuage par d’autres nuages, sa pipe ne s’éteint plus ; il fume du matin au soir d’un air rêveur ; par moments