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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

que, depuis Coulmiers, la basse-cour était réduite à trois volatiles. Je ne fus donc pas surprise du sourire de la fermière, il me suffisait d’avoir fait preuve de bonne volonté ; je quittais sa cuisine quand une scène, trop semblable à toutes celles des jours passés, me cloua pourtant sur le seuil.

Un parti allemand qui venait de Saint-Lyé avait jugé bon, passant auprès de la ferme, de s’y restaurer. Les hommes descendaient de leurs chevaux, les débridaient, et ouvrant les étables comme chez eux, faisaient entrer leurs bêtes en les tirant par la crinière. L’officier commandant cherchait où pouvaient se trouver l’avoine, le lard et le vin cacheté.

C’était l’invasion, le droit du vainqueur, rien de plus qu’à l’ordinaire.

« Louis, dit la fermière à l’un de ses gens, allez donc vite détacher le poulain et l’amenez ici. Faudrait pas qu’ils s’en trouvent gênés. »

Louis partit en courant.

Il avait été le charretier quand la ferme avait possédé chevaux et charrettes, ce poulain était son élève, le seul quadrupède que l’invasion eût laissé, simplement parce qu’il était trop jeune pour faire aucun service.

Parmi les Prussiens entrés dans l’écurie, il y en avait un, peut-être déjà ivre. Voyant la pauvre petite bête, au lieu de la détacher il tira son sabre et se mit à frapper à tours de bras au milieu de la corde lâche