Page:Boissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

4
UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

peine revu mon père et maman ; cependant nous aurions eu grand besoin que l’un ou l’autre nous donnât une espérance. Où était-elle, ta gaieté fameuse, frère André ? Elle seule et nulle autre aurait été capable de nous ranimer ! Sans toi, je n’ai su que traîner les deux petits par la main ; ils ne voulaient pas me quitter et nous errions ainsi dans le jardin, interrompus seulement par le jardinier ou par les bonnes femmes du village qui venaient demander à madame si c’était vrai tout ce qu’on disait.

Faute de madame, on se contentait de Mlle Berthe, qui répétait ce qu’elle avait appris. Marguerite ajoutait :

« Et ça a fait pleurer papa. »

Et Robert grondait Marguerite de dévoiler ainsi la faiblesse de papa :

« C’est que maman et Berthe pleuraient, disait-il, alors ça l’a gagné ! »

Toujours errant, nous avons gravi la butte d’où l’on domine la grande route. De même que les jours derniers, on y apercevait les tristes caravanes des fuyards de l’Est cheminant péniblement avec leurs enfants et leur bétail.

Voilà près d’une semaine que les premiers ont passé ainsi, et l’émigration semble loin de se ralentir ; jamais nous n’en avions tant compté.

Ce spectacle n’était point fait pour égayer les enfants, diras-tu. En effet ; pourtant ils ont eu quelque