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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

Ce matin, dès sept heures, il a fallu quitter notre gîte ; à peine voyait-on pour se conduire, tant le brouillard était épais. Et nos pauvres soldats qui couchent par des temps pareils sur la terre nue ! Nos ennemis ne semblent pas en souffrir, et leur air bien portant et reposé me donne sur les nerfs. Comment fait-on ? ou comment font-ils ? Est-ce la gloire des chefs ou celle des soldats ? Question qu’il faudrait étudier et résoudre pour notre propre enseignement.

Je ne puis pas me reprocher d’avoir souhaité la réalité d’un rhumatisme ou d’une bronchite à aucun des soldats que j’ai aperçus aujourd’hui ; mais leur bon état en général irrite, et en général aussi on souhaite une diffusion de grippes et une pluie d’entorses sur cette armée. C’est méchant, mais patriotique ; ce serait pour la nôtre une chance de salut.

On ne rencontre point de villages jusqu’à la grande route, de sorte que nous n’avons pu avoir d’aucun Français l’explication des mouvements de troupes que nous remarquions. Personne n’a semblé se soucier de nous jusqu’à Allaines, où il a fallu subir un interrogatoire en règle de la part d’un sous-officier. Là nous nous sommes aperçus qu’on approchait des lignes d’avant-postes. Si le laisser-passer n’avait été parfaitement explicite, on nous retenait même à l’auberge, car notre demande d’aller de l’avant contrariait évidemment ces grossiers personnages. On nous a gardés deux heures en suspens.