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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

chagrin ; et par bon cœur, et par bêtise aussi, il imagina de les consoler en leur disant que leur fils allait beaucoup mieux quand il l’avait quitté, que rien ne pressait de l’aller voir, et que mieux vaudrait attendre quelques jours pour partir ; qui sait ? on pourrait peut-être le ramener. Le mari crut cela et contraignit sa femme à rester.

Le 8 décembre, le jeune Pierredon mourut.

Pauvre garçon ! Vous vous rappelez que j’étais arrivé le 6 avec Barbier, on m’avait mis dans la même salle, et toute la journée du 7 je remarquais ce pauvre être qui n’avait plus que le souffle et qui tenait obstinément ses yeux fixés sur la porte. Chaque fois qu’elle s’ouvrait, l’intensité de son attente ramenait un peu de vie dans ses yeux, chaque fois que l’indifférent était entré, la lueur s’éteignait, et l’on voyait que la mort avait fait encore un pas. Je ne connaissais alors rien de son histoire, mais je devinais son angoisse, et j’avais fini comme lui et pour lui, par attendre quelqu’un par cette porte.

Il est donc mort il y a trois jours, le 8. Ce matin, j’entends plus de bruit qu’à l’ordinaire dans la pièce à côté, ce nom de Pierredon plusieurs fois répété, la porte finit par s’ouvrir, et Mlle M… entre, soutenant sous le bras une grosse paysanne enveloppée dans sa grande mante noire et pleurant, pleurant à flots.

« C’est là qu’il était, » lui dit doucement Mlle M… en lui montrant le lit.