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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

proposé de rester où nous étions, n’importe ce qui arriverait, lui assurant que pour moi, cela m’était parfaitement indifférent de me trouver prisonnier. Mais M. André avait grand courage, il me disait : « Roulez, Barbier, roulez, nous arriverons une fois, et je ne penserai plus au mal, au lieu que si vous me laissez prendre, ils m’emmèneront en Allemagne, et il n’y aura plus moyen de servir. » Madame comprend que je n’avais guère la tête à revoir M. André soldat, mais comme c’était son idée et que cela seul le maintenait, j’avançais tant vite que possible.

Il faut dire à madame que j’étais au courant qu’une ambulance était établie à Ouzouer-le-Marché et que j’avais hâte que les pansements fussent refaits. Mais la question était qui y arriverait le plus tôt, de nous ou des autres, car le canon ne cessait pas une minute et personne ne résistait pour l’instant. Tout le monde se poussait sur la route et roulait comme un fleuve d’eau, une vraie débâcle, quoi ! Bien peu ont pu faire comme nous dans une pareille journée et attraper Ouzouer avant le soir, mais quand nous l’avons atteint j’aurais voulu le canon pour ne pas entendre comme M. André plaignait. C’était pourtant là que la chance allait nous revenir.

J’arrête où je vois un grand drapeau qui n’est pas tricolore, madame doit savoir, et j’explique mon cas à un jeune homme qui se trouvait là. « De Vineuil ! qu’il me dit, lequel donc ? » et le voilà qui s’en vient