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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

jette du grenier dans sa cour deux bottes de mauvaise paille, mais il ne me les veut passer que si je lui donne quarante sous. Je lui crie que c’est pour un blessé et qu’il est un juif fini, il ne veut pas entendre raison. Madame sent bien qu’on ne peut pas, quand on connaît le prix des choses, se laisser faire la loi comme ça. Voyant qu’il n’en voulait pas démordre, et le temps me pressant, j’ai passé par-dessus sa porte avec les pistolets tournants de M. André et je lui ai commandé d’abouler sa paille ou qu’il allait voir… À ce coup-ci il a marché, madame peut croire, et j’ai eu bien de la bonté de lui donner vingt sous. Des gens comme ça, c’est honteux. Madame trouvera avec la mienne une lettre que M. André lui a écrite le premier jour de la bataille et qu’il avait gardée sur lui. Il donnera lui-même bientôt des nouvelles à madame, car quand il aura du repos, j’ai bon espoir qu’il va vite se reprendre et c’est pour moi une besogne bien dure, par le manque d’habitude, que de me faire l’honneur d’écrire à madame.

Pour l’instant, le plus pressé est de nous sortir de la bagarre, car on n’aura rien de bon à manger, ni de lit un peu propre, avant d’être en arrière de l’armée. Madame peut croire que je continuerai à faire de mon mieux pour M. André vu mon devoir pour sa famille et mon attachement pour lui. Mon gars ne me soucie pas trop pour l’instant parce que sa compagnie est des plus avant dans la retraite.