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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

son picotin, je n’ai pas osé le décharger crainte de retard, mais je commence à informer madame, comme j’en ai reçu l’ordre, de ce qui se passe, et tout de suite nous reprendrons la file pour nous retirer dans un pays plus pacifique.

Faut que madame sache que M. André est un brin trop bouillant ; c’est un défaut de jeunesse qu’y a pas trop à reprocher, mais pas vrai, il n’aurait pas eu ce qu’il a si seulement il s’était tenu plus tranquille. Déjà avant-hier, il avait joué un jeu à se faire casser les os, m’a-t-on dit, toujours de l’avant comme si c’était sa besogne de faire marcher les autres, tant il y a que l’amiral, qui est un officier qui n’est pas pour le moment dans les vaisseaux, mais qui est comme général ici, lui a fait des compliments et l’a nommé lieutenant. Faut croire que ça l’aura animé davantage, car ses camarades m’ont dit qu’il était hier matin encore pis que la veille. Malgré les fusils des Bavarois, qui tiraient tous à la fois, il est entré le premier dans le jardin où je l’ai trouvé.

Madame saura aussi qu’hier soir, à la nuit noire, ayant vu rentrer mon gars bien moulu mais point touché, et apprenant qu’il se fallait retirer de Loigny où ces gueux d’Allemands avaient mis le feu, je me suis faufilé où on croyait que devait être le 39e de M. André. Je trouve sa compagnie à Faverolles, un peu partout, mais lui, point. On me dit que l’on s’était vu battu déjà depuis deux heures de l’après-