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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

nous ne savons comment témoigner. Ne plus voir de Prussiens nous cause une telle joie, qu’on battrait volontiers des ailes si on en avait ; la respiration est devenue libre, on ose sortir de chez soi, même on se découvre une lueur d’espérance au fond du cœur. Car on peut bien avouer que cette marche en avant des Prussiens à l’entrée de l’hiver est une imprudence. Le premier Napoléon se croyait bien sur aussi du succès en marchant vers Moscou, et pourtant…

Nous ne sommes pas seuls à nous réjouir, chacun de nos voisins en est au même point, et en ce moment n’a rien de plus pressé que de communiquer aux autres de quelle manière il s’est tiré d’affaire. C’est quelquefois lamentable, quelquefois très-drôle. Veux-tu l’histoire du général L… ? Elle pourra te fournir une bonne idée pour un cas semblable au sien.

Tu sais que le vieux général habite *** ; il eut à loger, du 22 au 25, quatre officiers, leurs ordonnances et leurs chevaux. Les choses, d’abord, ne se passèrent pas trop mal. Le vétéran évitait ses hôtes imposés, mais les faisait servir convenablement. Au moment de partir, le 25, les officiers prussiens firent enlever de toutes les chambres de la maison les couvertures qui purent s’y trouver, ainsi que quelques menus objets à leur convenance ; mais la chambre du général fut respectée.

Ils avaient disparu, et le général, sur sa porte,