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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

viennent les bonnes pensées, la force, la persévérance, et ce garçon ne sait-il pas lui-même de qui demander l’aide et le secours ?

Je ne voudrais pourtant pas te faire une lettre trop grave, mon cher bonhomme ; voici une petite histoire que tu raconteras à ton tour à Marguerite et à Berthe.

J’étais ce matin à l’ambulance. Nous avons cloué contre un mur pour distraire ceux des convalescents qui commencent à se lever, une énorme carte de France et, à côté, un plan de Paris avec sa ceinture de forts. Cela intéresse beaucoup les soldats qui lisent ou qui entendent lire le peu de nouvelles qui parviennent de la France. Quant à Paris, il est très-facile de savoir ce qui se fait chaque jour, et on place des épingles à têtes de couleur là où se trouvent les différents corps de troupes. Les malades regardent nos épingles, mais ils aiment bien plus encore retrouver avec mille peines, et souvent l’aide de l’un de nous, leur village ou leur ville sur la grande carte de France. C’est le premier exploit de tout convalescent. « Je suis de là », dit-il, et son doigt tout maigre et tout tremblant indique tant bien que mal le point qui est sa petite patrie dans la grande. Si c’est vers l’est que s’achemine ce doigt, la figure du pauvre garçon est sombre et presque colère. « ils y sont, les Prussiens y sont, les Prussiens sont chez nous ! » Et l’on voit qu’il pense très-triste-