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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

et lui fit gravir au grand trot la pente que nous venions de descendre.

Nous prêtions l’oreille à ce qui se passait derrière nous, il semblait que ce meurtre allait en amener d’autres ; une angoisse mêlée de pitié, d’indignation et de terreur nous étouffait. Nous n’entendîmes rien. Au bout de la ruelle que nous suivions, nous trouvâmes les champs. François se mit à courir à côté de la voiture pour ménager le cheval dont il voulait forcer la vitesse une fois dans le chemin. Je n’ai jamais passé de moments plus affreux que ceux-là. La figure presque gracieuse de cette femme au moment où elle avait levé le broc et sa chute en arrière quand la balle l’avait atteinte étaient les seuls souvenirs qui restassent clairs dans ma pensée. J’essayais machinalement de calmer Robert qui sanglotait :

« Les méchants, les méchants !… » répétait-il.

François ne songeait qu’à nous remettre à maman.

Notre petite voiture dansait, ballottée d’une pierre dans un trou ou d’un fossé à un talus, le poney n’y comprenait rien.

Enfin François essoufflé murmura :

« Voici le chemin. »

Nous nous trouvâmes sur notre bienheureuse route et François put remonter. Dans ce court moment d’arrêt, je vis un nuage plus sombre encore passer sur son visage ; il me poussa le bras en me faisant signe de regarder en arrière : c’était l’escadron prus-