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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

Peut-être vais-je avoir le temps de vous dire un plaisir qui m’est survenu et que vous partagerez. Nous allions traverser hier Plessis-l’Échelle quand on nous fit faire halte pour laisser passer les mobiles de Loir-et-Cher qui s’en allaient, disait-on, prendre position à Saint-Laurent-des-Bois, sur la lisière opposée de la forêt. Derrière eux, avec les cantiniers et même plus loin encore, je remarquai quelques carrioles légères qui suivaient ; il y avait aussi deux breaks fort bien attelés. Dans ces voitures étaient des pères, des frères inquiets, voulant être au plus près des nouvelles ; j’ai même vu trois ou quatre femmes, évidemment des mères, et les uns et les autres étaient tout entourés de gros paquets, vivres condensés, couvertures, cigares et sans doute aussi — bandages.

Il paraît qu’on avait toléré cette queue jusque-là, mais à Plessis-l’Échelle, ordre fut donné de laisser libre la route pour l’armée, et tout ce pauvre monde en peine dut se jeter dans les traverses.

Je songeais à vous, chère maman, qui auriez été parmi ces femmes, je le sais bien, si mes sœurs et Robert n’avaient eu encore bien plus besoin de vous qu’un grand garçon comme moi, et je soupirais. J’étais triste et, autant vaut vous le dire, je pensais aux bandes, à la charpie que vous auriez eues, à vos mains si adroites, à l’infinie douceur que devaient éprouver ceux des mobiles de Loir-et-Cher qui avaient leurs mères là.