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l’académie française sous l’ancien régime.

Nommez, Messieurs, une vertu qui ne soit pas la sienne. » Ces paroles n’auraient probablement choqué personne si une circonstance imprévue n’avait paru leur donner une signification à laquelle La Bruyère n’avait pas songé. L’archevêque de Paris, Harlay de Chanvallon, l’un des hommes les plus importants du clergé de France, faisait partie de l’Académie française depuis plus de vingt ans et y était fort considéré. Il avait voulu assister à la séance académique, sans doute pour faire honneur à l’abbé Bignon, mais il y était arrivé trop tard, et quand le discours de l’abbé était presque achevé. L’assemblée pria instamment Bignon de recommencer sa lecture en faveur de l’archevêque. Cet hommage, dont le vaniteux Harlay dut être très fier, lui rendit plus amers sans doute le silence que La Bruyère garda sur lui et surtout cet éloge de Bossuet qu’il le força d’entendre[1] C’était un effet du hasard ;

  1. Les contemporains nous disent que Bossuet et l’archevêque de Paris ne s’aimaient guère. Harlay devait être très jaloux de l’influence que Bossuet avait prise sur Louis XIV, et Bossuet devait penser de Harlay à peu près comme Fénelon, qui disait, dans sa lettre anonyme au roi : « Vous avez un archevêque corrompu, scandaleux, incorrigible, faux, malin, artificieux, ennemi de toute vertu et qui fait gémir tous les gens de bien. Vous vous en accommodez parce qu’il ne songe qu’à vous plaire par ses flatteries. Il y a plus de vingt ans qu’en prostituant son honneur, il jouit de votre confiance. Vous lui livrez les gens de bien ; vous lui laissez tyranniser l’Église. »