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la suppression des académies en 1793.

une phrase. Rien ne prouve que l’homme de lettres trouve toujours son intérêt à vivre seul. Chamfort a beau répéter d’un ton d’oracle : « Point d’intermédiaire ; personne entre les talents et la nation », et en conclure comme une conséquence inévitable qu’il faut anéantir les académies [1] ; beaucoup de bons esprits pensent au contraire qu’entre les talents et la nation, un intermédiaire n’est pas toujours inutile. Les découvertes scientifiques s’imposent au public par leurs résultats immédiats ; on pourra les dépasser plus tard, mais il est impossible de les contester quand on en a vu les effets. Il n’en est pas de même des œuvres littéraires. Le public ne leur rend pas toujours justice du premier coup ; pour en découvrir le mérite et l’apprécier, il a souvent besoin d’être averti. L’écrivain sérieux et profond qui vit en dehors du monde et du bruit risque d’être méconnu ; il faut le chercher pour le découvrir. Une société littéraire, en l’adoptant, lui donnera la notoriété, sinon la gloire ; il n’en demande pas plus, car, s’il a une valeur véritable,

  1. « Range-toi de mon soleil », disait Diogène à Alexandre, et Alexandre se rangea. Mais les compagnies ne se rangent point : il faut les anéantir. » Registres, IV, p. 182.