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y a des erreurs et des illusions qui valent mieux qu’une résignation trop facile. La liberté réelle n’existait plus à Rome, je le crois : il n’en restait que l’ombre ; mais l’ombre est quelque chose encore. On ne peut en vouloir à ceux qui s’y attachent et qui font des efforts désespérés pour ne pas la laisser périr, car cette ombre, cette apparence les console de la liberté perdue et leur donne quelque espoir de la reconquérir. C’est ce que pensaient les honnêtes gens comme Cicéron, qui, après avoir mûrement réfléchi, sans entraînement, sans passion et même sans espérance, allèrent retrouver Pompée ; c’est ce que Lucain fait dire à Caton dans ces vers admirables qui me semblent exprimer les sentiments de tous ceux qui, sans se dissimuler le triste état de la république, s’obstinèrent jusqu’à la fin à la défendre : « Comme un père, qui vient de perdre son enfant, se plait à conduire ses funérailles, allume de ses mains le bûcher funèbre, ne le quitte qu’à regret et le plus tard qu’il peut, ainsi, Rome, je ne t’abandonnerai pas avant de t’avoir tenue morte dans mes bras. Je suivrai jusqu’au bout ton nom seul, ô liberté, même quand tu ne seras plus qu’une ombre vaine ![1] »


IV


Pharsale ne fut pas la fin de la carrière politique de Cicéron, comme il semblait le croire. Les événements devaient le ramener encore une fois au pouvoir et le replacer à la tête de la république. Sa vie retirée, son silence pendant les premiers temps de la dictature de César, loin de nuire à sa réputation, l’avaient au contraire

  1. Lucain, Pharsale, II, 300.

    Non ante revellar
    Exanimem quam te complectar, Rom Tuumque
    Nomen, libertas, et inanem prosequar umbram