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savons par Plutarque qu’il fallait se cacher au Palatin pour lire ses ouvrages. Le silence se faisait donc autant que possible autour de cette grande gloire mais la publication de ses lettres le rappela au souvenir de tout le monde. Une fois qu’on les a lues, cette figure spirituelle et douce, si aimable, si humaine, si attrayante jusque dans ses faiblesses, ne peut plus s’oublier.

À cet intérêt que la personne de Cicéron donne à sa correspondance. Il s’en joint pour nous un autre plus vif encore : On a vu, par tout ce que je viens d’écrire, combien notre temps ressemble à l’époque dont ces lettres nous entretiennent. Elle n’avait pas plus que la nôtre de croyance solide, et la triste expérience qu’elle avait faite des révolutions l’avait dégoûtée de tout, en l’habituant à tout. Elle connaissait, comme nous, ces mécontentements du présent et ces incertitudes du lendemain qui ne permettent pas de goûter un repos tranquille. Nous nous retrouvons en elle ; les tristesses des hommes de ce temps sont en partie les nôtres, et nous avons souffert des maux dont ils se plaignaient. Nous sommes placés comme eux dans une de ces époques intermédiaires, les plus douloureuses de l’histoire, où, les traditions du passé ayant disparu et l’avenir ne se dessinant pas encore, on ne sait plus à quoi s’attacher, et nous comprenons bien qu’il leur soit arrivé souvent de dire avec le vieil Hésiode : « Que je voudrais être mort plus tôt, ou être né plus tard ! » C’est ce qui donne pour nous un intérêt si triste et si vif à la lecture des lettres de Cicéron ; c’est ce qui m’a d’abord attiré vers elles ; c’est ce qui, peut-être, fera trouver quelque plaisir à vivre un moment dans la compagnie des personnages qu’elles nous dépeignent, et qui, malgré les années, semblent souvent être nos contemporains.


FIN.