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vivants d’une époque où il tendait la main aux assassins de César et où il appelait Cicéron son père ne lui étaient pas favorables. Il y avait là de quoi défrayer pendant quelques semaines les conversations des mécontents. Mais à tout prendre, le mal était petit, et ces railleries ne compromettaient guère la sécurité du grand empire. Ce qui était plus à craindre pour lui, c’était que l’imagination, toujours complaisante pour le passé, ne prêtât libéralement à la république ces qualités dont il est si facile d’embellir les gouvernements qui ne sont plus. Or, les lettres de Cicéron étaient bien plus propres à détruire ces illusions qu’à les encourager. Le tableau qu’elles présentent des intrigues, des désordres, des scandales de ce temps ne permettait pas de le regretter. Des gens que Tacite nous dépeint fatigués de luttes et avides de repos ne trouvaient rien là qui put les séduire, et le mauvais usage que les Curion, les Cælius, les Dolabella avaient fait de la liberté les rendait bien moins sensibles à la douleur de l’avoir perdue.

Ce qui gagna à la publication de ces lettres, ce fut la mémoire de celui qui les avait écrites. Il était assez d’usage alors de maltraiter Cicéron. Malgré la façon dont l’histoire officielle racontait l’entrevue de Bologne et le beau rôle qu’on essayait de donner à Octave dans les proscriptions[1], ce n’en étaient pas moins des souvenirs fâcheux pour lui. Pour diminuer un peu ses torts, on calomniait ses victimes. C’est ce qu’avait voulu faire Asinius Pollion, quand il racontait, dans son plaidoyer pour Lamia, que Cicéron était mort comme un lâche[2] ? Ceux dont le dévouement n’allait pas si loin, et qui ne se sentaient pas le courage de l’insulter, se gardaient bien au moins d’en rien dire. On a remarqué qu’aucun des grands poètes de ce temps ne parle de lui, et nous

  1. Voir surtout Velleius Paterculus, II, 66.
  2. Sénèque, Suas, 6