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deux illustres maisons que vous représentez. Vous deviez être le maître au forum, y régner sans rival ; aussi sommes-nous doublement affligés que la république soit perdue pour vous, et vous pour la république[1]. » De semblables regrets exprimés de cette façon, et dans lesquels l’intérêt privé se mêlait à l’intérêt public, étaient bien faits pour troubler Brutus. Antoine n’avait pas tout à fait tort quand il accusait Cicéron d’avoir été complice de la mort de César. S’il n’a pas frappé lui-même, il a armé les bras qui frappèrent, et les conjurés n’étaient que justes lorsqu’au sortir du sénat, après les ides de mars, ils appelaient Cicéron en agitant leurs épées sanglantes.

À ces excitations qui venaient du dehors s’en joignirent d’autres, plus puissantes encore, que Brutus trouvait dans sa maison. Sa mère s’était toujours servi de l’empire qu’elle avait sur lui pour le rapprocher de César ; mais justement à cette heure critique l’empire de Servilie fut amoindri par le mariage de Brutus avec sa cousine Porcia. Fille de Caton, veuve de Bibulus, Porcia apportait dans sa nouvelle maison toutes les passions de son père et de son premier mari, et surtout la haine de César, qui avait causé tous ses malheurs. À peine y était-elle entrée que des dissentiments éclatèrent entre elle et sa belle-mère. Cicéron, qui nous les apprend, n’en dit pas le motif ; mais il n’est pas téméraire de supposer que ces deux femmes se disputaient l’affection de Brutus, et qu’elles voulaient le dominer pour l’entraîner dans des directions différentes. L’influence de Servilie perdit sans doute quelque chose dans ces discussions domestiques, et sa voix, combattue par les conseils d’une épouse nouvelle et chérie, n’eut plus la même autorité quand elle parlait pour César.

  1. Brut., 97.