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qu’on a obtenu qu’à regretter ce qui manque. C’est ainsi que Cicéron, qui avait accueilli avec des transports de joie la clémence de César et qui saluait le retour de Marcellus comme une sorte de restauration de la république, changea bientôt de sentiment et de langage. À mesure qu’on avance dans sa correspondance, il devient plus aigre et plus frondeur. Lui qui avait si sévèrement condamné ceux qui « après avoir désarmé leurs bras ne désarmaient pas leur cœur[1], » il avait le cœur rempli des plus amers ressentiments. Il disait à tout propos que tout était perdu, qu’il rougissait d’être esclave, qu’il avait honte de vivre. Il attaquait de ses railleries impitoyables les mesures les plus utiles et les actes les plus justes. Il se moquait de la réforme du calendrier, et il affectait de paraître scandalisé de l’agrandissement de Rome. Il alla plus loin encore. Le jour où le sénat fit placer la statue de César à côté de celles des anciens rois, il ne put s’empêcher de faire une allusion cruelle à la façon dont le premier de ces rois avait péri. « Je suis bien aise, dit-il, de voir César si près de Romulus[2] ! » Et cependant il y avait un an à peine que, dans le discours pour Marcellus, il le conjurait, au nom de la patrie, de veiller sur ses jours, et qu’il lui disait avec effusion : « Votre sûreté fait la nôtre ! »

César n’avait donc autour de lui que des mécontents. Les républicains modérés, sur lesquels il comptait pour l’aider dans son œuvre, ne pouvaient pas se résigner à la perte de la république. Les exilés qu’il avait rappelés à Rome, plus humiliés que reconnaissants de sa clémence, n’abjuraient pas leurs ressentiments. Ses propres généraux, qu’il comblait de richesses et d’honneurs, sans pouvoir assouvir leur cupidité, accusaient son ingratitude ou même complotaient sa mort. Le

  1. Pro Marc., 10.
  2. Ad Att., XII, 45.