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jugée suffisante, César lui-même entra dans la lice et au milieu des soucis que lui causait la guerre d’Espagne, il composa l’Anti-Caton.

On a justement loué cette modération de César : elle n’est pas commune chez les gens qui possèdent une autorité sans limites, et les Romains disaient avec raison qu’il est rare qu’on se contente d’écrire quand on peut proscrire. Ce qui ajoute au mérite de sa conduite généreuse, c’est qu’il détestait Caton. Il en parle toujours avec amertume dans ses Commentaires, et quoiqu’il ait coutume de rendre justice à ses ennemis, il ne manque pas une occasion de le décrier. N’a-t-il pas osé prétendre qu’en prenant les armes contre lui, Caton cédait à des rancunes personnelles et au désir de venger ses échecs électoraux[1], quand il savait bien que personne ne s’est plus généreusement oublié lui-même pour ne songer qu’à son pays ! C’est qu’il y avait entre eux plus que des dissentiments politiques, il y avait des antipathies de caractère. Les défauts de Caton devaient être particulièrement désagréables à César, et ses vertus étaient de celles que non seulement César ne chercha pas à acquérir, mais qu’il ne pouvait pas comprendre. Comment aurait-il été sensible à ce respect étroit de la légalité, à cet asservissement aux vieilles coutumes, lui qui trouvait un plaisir piquant à se moquer des anciens usages ? Comment un prodigue, qui avait pris l’habitude de répandre sans compter l’argent de l’État et le sien, pouvait-il rendre justice à ces scrupules rigoureux que Caton se faisait dans le maniement des deniers publics, aux soins qu’il apportait à ses affaires privées, à cette ambition, étrange pour ce temps, de n’avoir pas plus de dettes que de biens ? C’étaient là, je le répète, des qualités que César ne pouvait pas comprendre. Il était donc

  1. Cæsar, Bell. civ., I, 4.