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blâmer, et, avec des ménagements infinis, il rappelait au respect de lui-même le malheureux qui l’oubliait. S’il voyait au contraire qu’on fût disposé à commettre quelque héroïque imprudence et à tenter, sans profit pour personne, un coup d’éclat dangereux, il s’empressait de retenir cet élan de courage inutile et prêchait la prudence et la résignation. Pendant ce temps, il n’épargnait pas ses peines. Il allait trouver les amis du maître, ou, s’il en était besoin, il essayait de voir le maître lui-même, quoiqu’il fût bien difficile d’aborder un homme sur lequel retombaient les affaires du monde entier. Il priait, il promettait, il fatiguait de ses supplications et presque toujours il finissait par réussir, car César tenait à l’engager de plus en plus dans son parti par les faveurs qu’il lui accordait. Une fois la grâce obtenue, il voulait être le premier à l’annoncer à l’exilé, qui l’attendait impatiemment ; il le félicitait avec effusion et joignait à ses compliments quelques leçons de modération et de silence qu’il donnait volontiers aux autres, mais qu’il ne pratiquait pas toujours lui-même.

Parmi ces exilés, il n’y avait pas de personnage plus important que l’ancien consul Marcellus ; il n’y en avait pas non plus que César eût autant de raison de haïr. Par une sorte de bravade cruelle, Marcellus avait fait battre de verges un habitant de Côme, pour montrer quel cas il faisait des droits que César avait fait accorder à cette ville. Après Pharsale, il s’était retiré à Mitylène et ne songeait pas à en revenir, quand ses parents et Cicéron se mirent en tête d’obtenir sa grâce. Pendant qu’ils faisaient les premières démarches, ils rencontrèrent un obstacle sur lequel ils n’avaient point compté : ils pensaient qu’ils n’auraient à supplier que César, et il leur fallut commencer par fléchir Marcellus. C’était un homme énergique que le mauvais succès de sa cause n’avait pas abattu, un véritable philosophe, qui s’était