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adversaire si digne de lui, ne l’a-t-il pas tenu cinq ans entiers en prison, pour donner ensuite froidement l’ordre de l’égorger le jour de son triomphe ? Même à l’époque des guerres civiles, et quand il combattait ses concitoyens, il se fatigua de pardonner. Lorsqu’il vit que son système de clémence ne désarmait pas ses ennemis, il y renonça, et leur obstination, qui le surprit, finit par le rendre cruel. À mesure que la lutte se prolonge, elle prend des deux côtés des couleurs plus sombres. Entre les républicains exaspérés par leurs défaites et le vainqueur furieux de leur résistance, la guerre devient sans merci. Après Thapsus, César donne l’exemple des supplices, et son armée, s’inspirant de sa colère, égorge les vaincus sous ses yeux. Il avait déclaré, en partant pour sa dernière expédition d’Espagne, que sa clémence était à bout, et que tous ceux qui ne poseraient pas les armes seraient mis à mort. Aussi la bataille de Munda fut-elle terrible. Dion raconte que les deux armées s’attaquèrent avec une rage silencieuse, et qu’au lieu des chants guerriers qui retentissent d’ordinaire, on n’entendait par moments que ces mots : « Frappe et tue. » Le combat fini, le massacre commença. Le fils ciné de Pompée, qui était parvenu à s’enfuir, fut traqué dans les forêts pendant plusieurs jours, et tué sans miséricorde, comme les chefs vendéens dans nos guerres du Bocage.

Le plus beau moment de la clémence de César, c’est Pharsale. Il avait annoncé d’avance, lorsqu’il entra en Italie, qu’on ne verrait pas recommencer les proscriptions. « Je ne veux pas imiter Sylla, disait-il dans une lettre célèbre, et qui fut sans doute fort répandue. Inaugurons une nouvelle façon de vaincre, et cherchons notre sûreté dans la clémence et la douceur[1]. Il ne démentit pas d’abord ces belles paroles. Après la victoire, il

  1. Ad Att., IX, 7.