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que donnent l’usage et la pratique du monde, oubliant ou paraissant oublier tous les dissentiments qui les avaient séparés. Cependant ces relations étaient devenues pour Cicéron plus délicates que jamais. Ce n’était plus seulement un protecteur qu’il retrouvait dans son ancien condisciple, c’était un maître. Il n’y avait plus, comme autrefois, entre eux de traité ou d’accord qui créât des obligations réciproques ; il y avait un vainqueur à qui les droits de la guerre permettaient tout et un vaincu qui tenait la vie de sa clémence. Ce qui ajoutait à la difficulté de la situation, c’est que plus le vainqueur avait le droit de se montrer exigeant, plus l’opinion publique commandait au vaincu d’être réservé. On pouvait supposer, à l’époque de la guerre des Gaules, que Cicéron défendait les projets de César par amitié ou par conviction ; mais depuis qu’en se prononçant avec tant, d’éclat pendant la guerre civile il avait montré qu’il désapprouvait sa cause, les complaisances qu’il pouvait avoir pour lui n’étaient plus que de basses flatteries et une manière honteuse de mériter son pardon. Déjà son brusque retour de Pharsale avait été fort blâmé. « On ne me pardonne pas de vivre[1], » disait-il. On lui pardonnait moins encore ses relations, familières avec les amis de César. Les honnêtes gens murmuraient de le voir visiter si assidûment la maison de Balbus, aller dîner chez le voluptueux Eutrapélus en compagnie de Pansa ou d’Antoine et à côté de la comédienne Cythéris, prendre part aux fêtes somptueuses que donnait Dolabella avec l’argent des vaincus ; de tous côtés, la malveillance avait les yeux ouverts sur ses faiblesses. Il lui fallait donc satisfaire à la fois tous les partis, ménager les vainqueurs et les vaincus dans l’intérêt de sa réputation ou de sa sûreté, vivre à côté du maître sans trop

  1. Ad fam., X, 1.