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servi à sa grandeur, il avait quarante-quatre ans[1]. Pascal trouve que c’était commencer bien tard, et qu’il était trop vieux pour s’amuser à conquérir le monde. C’est au contraire, à ce qu’il semble, un des efforts les plus admirables de cette énergique volonté qu’à l’âge où les habitudes sont irrémédiablement prises, et où l’on est entré sans retour dans la voie qu’on doit suivre jusqu’à la fin, il ait brusquement commencé une vie nouvelle, et que, quittant tout d’un coup ce métier d’agitateur populaire qu’il avait fait vingt-cinq ans, il se soit mis à gouverner des provinces et à diriger des armées. À la vérité, ce spectacle est plus surprenant pour nous qu’il ne l’était alors. Ce n’est guère l’habitude aujourd’hui qu’on s’improvise administrateur ou général à cinquante ans, et ces choses nous semblent demander une vocation spéciale et un long apprentissage ; l’histoire nous prouve qu’il en était autrement à Rome. Ne venait-on pas de voir le voluptueux Lucullus, qui allait commander l’armée d’Asie, se faire enseigner l’art de la guerre pendant le voyage et vaincre Mithridate à son arrivée ? Quant à l’administration, un riche Romain l’apprenait chez lui. Ces vastes domaines, ces légions d’esclaves qu’il possédait, ce maniement d’une immense fortune qui souvent dépassait celle de plusieurs royaumes de nos jours, le familiarisaient par avance avec l’art de gouverner. C’est ainsi que César, qui n’avait encore pu s’exercer au gouvernement des provinces et au commandement des armées que pendant l’année de sa préture en Espagne, n’eut pas besoin de plus d’études pour vaincre les Helvètes et organiser les pays vaincus, et qu’il se trouva être du premier coup un admirable général et un administrateur de génie.

  1. Ou seulement 42, si l’on place sa naissance en 654. Voir, sur ce point, une note intéressante dans la Vie de César, liv. II, chap. Ier.