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plaça au premier rang et qu’il appela à partager sa fortune ne lui demeura fidèle. Ses libéralités n’ont fait que des ingrats, sa clémence n’a désarmé personne, et il a été trahi par ceux auxquels il avait le plus prodigué de faveurs. Les seuls qu’on puisse appeler véritablement ses amis, c’étaient ses soldats, les vétérans qui restaient de la grande guerre des Gaules ; c’étaient ses centurions, qu’il connaissait tous par leur nom, et qui se faisaient si bravement tuer pour lui sous ses yeux : ce Scæva, qui à Dyrrhachium eut son bouclier percé de deux cent trente flèches[1], ce Crastinus, qui lui disait le matin de Pharsale : « Ce soir, tu me remercieras mort ou vivant[2]. » Ceux-là le servirent fidèlement, il les connaissait et comptait sur eux ; mais il savait bien qu’il ne pouvait pas se fier à ses généraux. Quoiqu’il les eût comblés d’argent et d’honneurs après la victoire, ils étaient tous mécontents. Quelques-uns, les plus honnêtes, se sentaient tristes en songeant qu’ils avaient détruit la république et versé leur sang pour établir le pouvoir absolu. Le plus grand nombre n’avait pas ces scrupules, mais tous trouvaient qu’on avait mal payé leurs services. La générosité de César, si grande qu’elle fût, n’avait pas suffi à les satisfaire. On leur avait livré la république, ils étaient préteurs et consuls, ils gouvernaient les provinces les plus riches, et cependant ils ne cessaient de se plaindre. Tout leur servait de prétexte pour murmurer. Antoine s’était fait adjuger à vil prix la maison de Pompée ; quand on vint chercher l’argent, il se mit en colère et ne paya qu’en injures. Sans doute il

    mais il faut remarquer que ce n’est pas parmi ceux qu’il avait faits préteurs ou consuls et dont il paya si souvent les dettes qu’il l’avait trouvé. Matius ne remplit jamais aucune fonction politique importante, et sans la correspondance de Cicéron son nom ne serait pas arrivé jusqu’à nous.

  1. De bell. civ., II, 53.
  2. De bell. civ., III, 91.